LE PARFUM DE LA TENDRESSE by Alice Quinn

Auteur:Alice Quinn [Quinn, Alice]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2021-07-06T23:00:00+00:00

35 - La rue Constantin

Aujourd’hui, la première heure de Joseph Conté a été supprimée. Il paraît qu’il y a eu « un cas[18] », aussi le proviseur a-t-il préféré annuler les cours de cette classe, pour la journée. Il y aura une réunion de crise dans la salle des profs à midi.

Il emmène Rohan à la crèche et se dit qu’il pourrait profiter de cette heure de rab pour aller voir les parents, enfin le père, de Jimmy Murati, avant le conseil de discipline. Il a laissé filé les jours sans s’en rendre compte.

Si Jimmy est viré de ce lycée, jamais il ne parviendra à intégrer en cours d’année un autre établissement. D’ailleurs, personne ne voudra plus de lui. Il a plus de seize ans, l’école n’est plus obligatoire dans son cas. Il sera abandonné dans la nature, déscolarisé, sans rien à quoi se raccrocher.

C’est rare, mais quand parfois un parent sait expliquer la situation familiale, il peut arriver que le conseil de discipline ne se termine pas en sentence de renvoi. Après tout, Jimmy Murati n’a plus sa mère à la maison, c’est une circonstance atténuante pour son comportement.

Jo, toujours plein d’empathie pour les autres, se sent encore plus concerné par cette situation. Il voit des similitudes entre l’élève et son petit-fils : tous deux ont perdu leur mère, même s’il ignore tout de la disparition de Mme Murati. Elle ne doit pas être morte, sinon cela serait signalé dans le dossier.

Jo connaît l’emplacement de la rue Constantin et sait qu’il y a quelques habitats sociaux dans un immeuble ancien, rénové il y a une quinzaine d’années par la municipalité.

Il arrive devant une porte dont l’interphone est cassé. Il pousse le battant et accède aux boîtes aux lettres. Aucune au nom de Murati. Pas étonnant que le père ne réponde pas aux courriers, se dit Jo, avant d’apercevoir sous les boîtes, une tablette prévue pour les prospectus publicitaires, où plusieurs enveloppes sont jetées en vrac. Quand le facteur ne trouve pas la bonne boîte, il doit y poser le courrier.

Jo s’avance vers l’escalier. Il n’y a pas d’ascenseur, c’est habituel dans la vieille ville. Arrivé au deuxième étage, il est bousculé par une grappe de garçons qui dégringolent l’escalier en riant, sans le voir. Une femme les suit en criant :

– Arrêtez de courir comme ça !

Jo se tient immobile pour la laisser passer et en la croisant il lui demande :

– Vous connaissez les Murati ? Ils habitent bien l’immeuble, n’est-ce pas ?

Elle le regarde avec méfiance.

– C’est pour quoi ?

– Je suis un prof de Jimmy. Je viens voir son père pour…

Elle ne le laisse pas finir et le regarde avec une expression que le prof ne comprend pas.

– Son père ?

On dirait qu’elle retient un sourire impossible à interpréter. Il me manque un élément pour déchiffrer ce qu’elle pense, se dit Jo. J’ai l’impression qu’elle voudrait carrément me dire : « je vous souhaite bien du plaisir ! » Mais ça ne peut pas être ça.

Avant

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